N'avons-nous pas mille raisons de nous unir?
La plus grande différence entre nous, la plus grande liberté, la plus grande
indépendance même, nous rendent d'autant plus utiles et agréables les uns aux
autres. Et si nous ne communions pas par ce qui nous fait différer, cela même
nous intéresse. En outre, à travers toutes nos différences, nous partageons un
intérêt commun, notre amour de la liberté, de la diversité des
possibles. Or, pour le défendre et le promouvoir, nous sommes amenés souvent
à chercher à nous unir. Mais si nous le faisons de manière à nous confondre, c'est-à-dire à nous
soumettre à l'identité d'un groupe, voilà que nous sommes déjà vaincus,
puisque nous avons, pour la cause de l'individualisme, cessé d'être
individualistes. Est-ce à dire que nous ne puissions vraiment nous unir? Loin de là.
Du fait de notre intérêt pour la liberté, nous partageons de nombreux intérêts,
non seulement parce qu'il y a des conditions à
notre individualisation qui sont semblables quelle que soit la façon dont
nous nous individualisons, mais aussi parce que ces diverses façons elles-mêmes
engendrent des communautés partielles avec d'autres. C'est dire que notre union
n'est pas massive, mais comporte mille modalités, mille degrés. C'est
dire aussi qu'il y a, non pas une seule union, mais plusieurs, de nombreuses
unions entre nous, de plus larges et de plus profondes. Car si nous avons
quantité d'intérêts divergents, il n'empêche que nous en avons aussi de
communs à nous tous, et que par ceux-là, par lesquels nous sommes individualistes, et non
seulement individus, nous nous retrouvons solidaires, quoique soucieux de ne pas
laisser cette solidarité devenir le prétexte d'un asservissement à un
quelconque groupe.
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