L'égalité devant la loi est
certainement l'égalité principale entre les individus d'une société
policée. Que signifie-t-elle? Que la loi s'applique à tous les individus
également et que chacun a un droit égal à faire respecter légalement son
droit. Selon cette dimension de son rapport à la loi, chaque individu vaut
n'importe quel autre et n'importe quels autres. Cette égalité est celle de la
manière dont la loi considère et traite les individus, en faisant abstraction
de ce qui en eux ne relève pas d'elle. Ils apparaissent donc comme égaux en
ceci que leurs différences concrètes sont considérées comme non pertinentes
du point de vue juridique, qui ne retient parmi leurs qualités que celles
auxquelles se réfère la loi elle-même et qui ont par là valeur juridique. Mais
il ne s'ensuit pas que tous aient le même droit. Il peut arriver certes que
certains droits soient accordés également à tous ou à presque tous, comme le
droit de voter est accordé dans les démocraties à tous les citoyens adultes.
Mais c'est la loi qui définit l'extension et l'égalité de ce droit. Elle
définit tout aussi bien des inégalités de droits, comme par exemple dans le
cas des droits résultant de l'héritage. Car si la loi s'applique bien sûr à
tous de la même façon, elle définit pourtant que, selon sa position sociale
précise, tel pourra hériter d'une fortune et aura droit à des richesses auxquelles
un autre n'aura pas droit. Tous étant égaux devant la loi, celle-ci va
pourtant définir aussi bien des droits égaux que des droits inégaux. Ainsi,
si j'appelle personnalité juridique la figure qu'une personne prend aux yeux de
la loi, par l'ensemble de ses droits et par ses circonstances concrètes
définies par la loi, les diverses personnalités juridiques seront très
différentes et inégales, en dépit de l'égalité de tous devant la loi. De
l'égalité devant la loi, il ne s'ensuit pas une égalité de droits, sinon,
logiquement, de ceux qui correspondent à cette première égalité. On peut
cependant désirer que la loi produise plus ou moins une telle égalité de
droits, et l'individualisme exige une telle base de droits égaux aussi étendue
que possible dans la mesure où ils ne restreignent pas inutilement la
différenciation liée à l'individualisation et par suite les
inégalités concrètes qui en résultent. Mais on peut rechercher cette
égalisation des droits dans des sens très différents, voire opposés, selon
qu'on cherche par là à imposer la plus grande uniformité concrète dans la
vie des gens, ou qu'on vise au contraire à créer la base juridique commune à
partir de laquelle le plus grand nombre de différences individuelles peut se
produire.
|