A une époque
assez récente,
l'économie était sans doute l'un des domaines dans lesquels nos
sociétés accordaient
explicitement à l'individu le plus de liberté d'action. Et il n'y a
certainement pas de raison de s'en plaindre, même si les économistes
ont
souvent réduit cet individu dans leurs théories à une sorte d'égoïste
calculateur, et même si, dans la réalité, on l'a de plus en plus éduqué
à
se comporter également comme tel dans ses activités économiques. Or,
comme
l'égoïsme n'est pas l'individualisme, l'économie n'a pas vraiment
ouvert un
très grand champ au développement de l'individu.
Le
problème ne vient pas de ce qu'on l'ait laissé agir, mais plutôt d'une
part de ce qu'on a tenté de réduire le plus possible son action à un
domaine
limité et de l'y soumettre à une morale étriquée, et d'autre part de ce
que, à mesure que le marché s'est modifié, que les mille petites
entreprises
ont cédé la place aux plus grandes et très grandes entreprises, la
liberté
individuelle s'est vue réduire sur le marché en proportion, de sorte
que,
contrairement à sa réputation, elle n'est pas plus grande à présent là
qu'ailleurs, puisque très peu y commandent et que presque tous y
suivent les
ordres comme les soldats dans les armées ou les fonctionnaires dans les
administrations.
Si l'on
voulait que le
marché redevienne un lieu de plus grande liberté individuelle, il
faudrait
donc d'une part trouver le moyen de provoquer un mouvement inverse,
pour
remplacer à nouveau les grandes entreprises par de plus petites et même
de
très petites, et d'autre part modifier la conception morale de l'action
de
l'acteur économique, en y intégrant bien d'autres intérêts que celui de
la lutte dans la concurrence pour le seul enrichissement.
Mais
surtout, comme l'acteur économique ne peut mettre en oeuvre qu'une
partie assez
restreinte des aptitudes des individus réels, il convient, pour rendre
la
société plus favorable à l'individualisation, de reléguer les intérêts
économiques à un rang secondaire par rapport à ceux de la culture,
c'est-à-dire
de la formation des individus dans toute la richesse de leurs
possibilités de
développement.
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