Lorsqu'ils
se demandent comment
éviter la dérive totalitaire de l'État et qu'ils veulent assurer la
plus
grande liberté, beaucoup cherchent à le rendre aussi neutre que
possible. Il
faudrait dans cette conception que l'État lui-même soit dépourvu
d'idéologie
et représente une sorte de structure constituée essentiellement de
procédures
destinées à produire régulièrement les décisions découlant des débats
des
citoyens ou de leurs représentants, seuls autorisés à avoir et à
défendre
des positions idéologiques.
En
réalité, cette idée d'une neutralité de l'État est insoutenable si elle
n'est pas
qualifiée comme une neutralité spécifique, par rapport à certains
domaines
ou à certaines questions. Il faut bien que l'État soit
constitué en fonction d'une idée qu'on se fait de son rôle, et cette
idée ne
peut être neutre, si bien que l'État qui en découle et l'exprime ne
peut
être neutre à son tour. Par exemple, si l'on veut que l'État défende la
liberté des individus plutôt que telle conception particulière du bien
de la
société et des hommes, il faut former un État engagé dans la défense de
la
conception individualiste.
La
recherche
de la neutralité étant illusoire, c'est à tout autre chose qu'elle
aboutit.
Par cette voie, on donne à l'État une quelconque idéologie cachée, non
pensée comme telle, et l'on rend confuse toute la discussion politique.
On croit
par exemple défendre, entre autres choses, la liberté individuelle sans
se
rendre compte qu'on impose en même temps un modèle non avoué de la
vraie vie
qui s'oppose à cette liberté.
Si
l'État n'est pas individualiste, s'il ne se consacre pas à la défense
de la
liberté des individus, alors, autant il néglige cette défense, autant
il
penche vers l'opposé de l'individualisme, vers le totalitarisme.
Certes, la
liberté individuelle peut encore bénéficier de la protection d'un État
modérément totalitaire, et dans la pratique, des compromis sont
possibles dans
cette mesure. Mais le seul État qui satisfasse vraiment la recherche de
la
liberté individuelle est celui qui est décidément consacré à sa défense
et
à sa promotion.
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